‘C’est comme une année perdue’ : ces femmes qui craignent que 2020 ait réduit à néant leurs chances de devenir mères

Rendez-vous mis en pause, pertes d’emploi et report des traitements de FIV : de nombreuses femmes craignent que leur dernière chance de devenir mères se soit envolée. Comment gèrent-elles cette situation ?

Les samedis matin sont les pires. Claudia, enseignante, se réveille seule dans son appartement en colocation. Le week-end s’étend devant elle, un trou noir sans fin qu’elle doit combler au mieux. Se promener, regarder la TV, se promener encore et encore. Elle peine parfois à trouver la motivation pour sortir du lit. ‘C’est dramatique,’ explique Claudia, ‘mais je suis là, allongée à me dire : À quoi bon me lever ?’

Elle répète le calcul qui la tourmente tout au long de l’année. Le mois prochain, elle aura 34 ans, elle est célibataire et elle est loin d’avoir trouvé un partenaire pour fonder une famille. Même si elle rencontrait quelqu’un l’année prochaine, cette personne serait-elle disposée à avoir des enfants dans l’année ? Probablement pas. Par conséquent, elle aura 36 ans quand elle essayera de tomber enceinte. Et c’est là que le bât blesse : avec les mesures de lutte contre le coronavirus, les rendez-vous sont pratiquement impossibles. ‘Mes amies sont soit enceintes soit mamans d’enfants en bas âge dont elles doivent s’occuper,’ explique Claudia, ‘et j’éprouve des difficultés à convaincre les hommes de me parler en ligne. Cela semble sans espoir.’

En plein cœur d’une pandémie mondiale, on se sent affreusement seule lorsque l’on est aux prises avec sa fertilité et que l’on ne peut pas se tourner vers sa famille et ses amis. ‘J’ai même été jalouse de mes amies qui ont subi une FIV,’ admet Claudia. ‘Elles semblent toujours avoir une longueur d’avance sur moi.’

Quand, en mars, la COVID-19 a pris tout le pays d’assaut, les cliniques de FIV ont aussitôt fermé leurs portes.

Claudia est l’une de ces nombreuses femmes qui craignent que le coronavirus ait mis fin à ses projets de maternité et peut-être même pour de bon. Quand, en mars, la COVID-19 a pris tout le pays d’assaut, les cliniques de FIV ont aussitôt fermé leurs portes. La plupart d’entre elles devaient seulement rouvrir en mai. Des relations à toute épreuve ont succombé à la pression d’une pandémie mondiale. Dès lors, des femmes de près de 40 ans mais avec un désir d’enfant inassouvi, ont dû se remettre en quête d’un partenaire. Des femmes dont la situation financière était stable avant la pandémie se sont retrouvées subitement sans emploi. Elles ne pouvaient donc plus se permettre de devenir mères ou du moins pas à court terme.

Les traitements de la fertilité ont pris du retard à tous les niveaux ; par exemple, tous les traitements non urgents ont été suspendus. Même si la plupart des cliniques sont aujourd’hui rouvertes, la liste d’attente des patients est longue. Par ailleurs, les cliniques sont exposées au manque de personnel dû à la crise de la COVID-19.

Pour certaines femmes, ce retard peut être désastreux. L’un des problèmes majeurs pour certaines patientes est la perte éventuelle du remboursement de leur traitement de la fertilité par le gouvernement. En effet, en raison du retard dans les consultations, elles dépassent la limite d’âge.

Lorsque l’on attend un traitement de la fertilité depuis si longtemps, tout retard est angoissant. ‘Nous aurions certainement commencé le traitement cette année’, explique Anna, 35 ans, assistante sociale. Voilà 6 ans qu’elle et son mari tentent d’avoir un enfant et elle a fait deux fausses couches durant cette période. L’année dernière, après avoir été orientée vers une clinique de la fertilité, Anna a découvert qu’elle souffrait d’une anomalie chromosomique provoquant des fausses couches à répétition. Pour mener une grossesse à terme, elle doit subir un test génétique préimplantatoire (TGP).

Elle devait débuter le traitement en avril mais ses rendez-vous ont été annulés suite à la pandémie de COVID-19. En novembre, elle a reçu un courrier indiquant qu’elle devrait attendre encore au moins 9 mois avant d’avoir un rendez-vous. ‘J’ai l’impression d’essuyer des échecs les uns après les autres’, confie Anna. ‘Une année est passée. Votre vie est constamment mise sur pause lorsque vous attendez un traitement.’Cependant, elle tente de remettre ses soucis dans leur contexte : Anna : ‘’J’ai bien conscience que certaines personnes sont dans une situation pire que la mienne. Des personnes qui n’ont pas pu recevoir un traitement contre le cancer. En prenant du recul, je me rends compte que les cliniques de la fertilité font de leur mieux, même si c’est difficile pour moi.’

Tous les retards engendrés par la pandémie de COVID-19 ne font qu’accentuer une période déjà difficile et confuse. La FIV et la procréation assistée sont déjà des procédures particulièrement compliquées. Un report peut être bouleversant pour des femmes qui se trouvent depuis longtemps sur une liste d’attente. Et le temps leur est compté.

Anna s’efforce de rester positive mais quand elle a reçu la lettre de la clinique, elle s’est effondrée. ‘L’équipe de l’hôpital est formidable et fait tout ce qu’elle peut. Mais j’ai quand même pleuré un peu.’

Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles : il ressort d’une étude récente menée auprès de patientes FIV d’une clinique de New York que les patientes dont le traitement a été interrompu suite à la pandémie de COVID-19 ont autant de chances d’être enceintes que des patientes dont le traitement n’a pas pris de retard. L’étude a été publiée dans la revue professionnelle ‘Fertility and Sterility’.

Les problèmes financiers causés par la COVID-19 brisent également le rêve de maternité de nombreuses femmes. ‘Je suis souvent déprimée. Je pleure beaucoup,’ confie Joséphine, 39 ans. Généralement, elle craque le lundi matin une fois que son époux reprend le travail et qu’elle se retrouve derrière son ordinateur portable pour reprendre l’horrible recherche d’emploi. ‘Cela fait 9 mois que je cherche. Et ça va encore durer.’ Joséphine est consultante spécialisée dans l’analyse des conflits. ‘Je possède une spécialisation de niche et l’ensemble du secteur a basculé dans la gestion de la COVID-19,’ explique-t-elle.

Cette année, elle et son époux avaient l’intention de consacrer leur épargne à la FIV mais aujourd’hui, cette décision semble irresponsable puisque, pour Joséphine, il sera peut-être encore plus difficile de reprendre le travail avec un bébé. Alors qu’elle est au bord des larmes, elle raconte : ‘Je me rends aux entretiens d’embauche en pensant : ce n’est pas seulement une tentative pour sauver ma carrière. J’essaye de me construire une carrière pour pouvoir avoir un enfant.’ Elle pourrait prendre sur elle et payer le traitement, indépendamment de sa situation professionnelle. Mais elle craint de devoir subir une grossesse stressante et incertaine.

C’est difficile à avaler : une pandémie mondiale va peut-être priver ces femmes de leur désir d’enfant. ‘J’ai le sentiment que cette année est une année perdue,’ explique Claudia. C’est presque comme si une année de ma vie avait volé en éclats, qu’elle aurait simplement disparu. Et rien ne dit qu’il y aura une amélioration l’année prochaine. Et si nous connaissions encore 6 mois de restrictions ?’ Joséphine s’efforce de se concentrer sur les aspects positifs, du moins pour l’instant. Voici ce qu’elle dit : La COVID-19 a été épouvantable pour ma carrière et bien sûr pour mes tentatives d’avoir un enfant. Toutefois, elle a renforcé mon lien avec mon partenaire. Je me suis fait de nouveaux amis – j’ai rejoint le groupe de parole local COVID-19, ce qui m’a permis d’élargir mon cercle social. Je suis plus en forme que jamais car j’ai beaucoup de temps pour faire du sport.’

Elle soupire profondément et sa voix semble plus affirmée. ‘Je suis convaincue que ce n’est qu’une période difficile,’ confie-t-elle. ‘Ça ne durera pas et tout rentrera dans l’ordre. J’ai besoin d’y croire.’

 

Certains noms ont été modifiés.

Il s’agit d’une traduction et d’un remaniement de :

Kale, S. (8 décembre 2020). ‘It feels like a lost year’: the women who fear 2020 has stolen their chance of motherhood. The Guardian. Consulté le 26 janvier 2021 via https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2020/dec/08/it-feels-like-a-lost-year-the-women-who-fear-2020-has-stolen-their-chance-of-motherhood?fbclid=IwAR38GBlRhGhcwLQg_F9ROj08c3uZ6WR1s9maxSJ1ZA1XMvx89Od1zkZ_Jhk

 

KEDP/DAD3VV/BEFR, date of approval 01/2021

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